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Le musicien: Qu'est-ce qu'il y a? Le soleil commence à baisser, dépêchonsnous, au contraire, sans quoi la nuit va nous surprendre.

Le chasseur: Non, restez; vous allez tout savoir! Il m'est arrivé aujourd'hui une chose extraordinaire et c'est bien la première fois de ma vie que je vois un pareil spectacle. Les bêtes de la brousse m'ont entouré et j'ai déchargé mon fusil sur elles à bonne portée, mais sans réussir à leur couper même un poil. Après avoir vidé ma cartouchière, me voici de retour, encore surpris de cette aventure à laquelle je ne comprends rien. A tout cela cependant il y a une cause!... (Il baisse la tête, médite quelque temps, puis, comme frappé d'une idée subite, s'écrie:) Niellé! Niellé! viens ici! Il n'y a pas de doute, c'est à cause d'elle que j'ai manqué mon gibier! Niellé! Niellé! (Il continue à appeler sa femme qui au bout d'un certain temps arrive avec lenteur.) Dépêche-toi !

Nielle: Qu'est-ce qu'il y a?

Le chasseur: Il y a que j'en ai assez; j'arrive de la chasse et je n'ai rien tué parce qu'en mon absence tu m'as encore trompé avec un amant.'

Nielle (impassible): Mensonge!

Le chasseur: Vérité! J'en suis sûr, te dis-je! Des coups immanquables, tirés en plein corps! et pas un poil coupé! (Il s'approche, menaçant.) Me diras-tu son nom, chienne!

Niellé (avec calme): Je ne dirai rien du tout.

Le chasseur (au comble de la surexcitation): Parle, misérable! ou je te fais périr sous les coups. Femme de rien, fille de bâtard!

Niellé (se réfugie auprès des musiciens et quand elle est en sûreté): Taistoil imbécile! Que de bruit pour peu de chose! Tu n'as rien tué, la belle affaire! Est-ce une raison pour te mettre en colère et prendre des allures à croire que tu vas pulvériser une jarre, toi qui n'es même pas capable de casser une calebasse fragile? (S'adressant aux musiciens.) S'il a manqué son gibier, c'est qu'il ne sait pas tirer! Avant d'être dans ce village il n'avait jamais tenu un fusil. Lui, chasseur! Jamais de la vie!

Le chasseur (écumant de fureur): Cette fois, c'en est trop! Je vais la tuer! (Il se précipite vers Niellé.)

Un musicien s'interpose, persuade au chasseur de tenter encore une expérience, et l'homme repart dans la brousse.

Les bêtes sauvages l'entourent de nouveau au bout de la place,

On sait que dans de nombreuses contrées de l'Afrique la chasteté est obligatoire pour le chasseur et pour les femmes de celui-ci lorsqu'il prépare ses armes, les pièges, filets et engins divers dont il fait usage pour tuer ou capturer le gibier, quand il est à la veille de partir en expédition et pendant la durée de celle-ci. La transgression de cet interdit est sanctionné par l'insuccès de l'entreprise et souvent par l'attaque d'une bête sauvage, la morsure d'un serpent ou un accident.

tandis qu'à l'autre extrémité Niellé est en conversation amoureuse avec un jeune homme. La même scène que la première fois se déroule, le chasseur tire sans succès, inspecte les traces et revient sans aucun gibier. En arrivant près de l'orchestre, il surprend sa femme et l'amant de celle-ci, qu'il frappe et poursuit en criant:

'Je le savais bien! La voilà la cause de ma maladresse.'

V. La Sorcière aux grandes oreilles

Personnages: La sorcière.

Le cultivateur.

La femme du cultivateur.

Les enfants du cultivateur.
Le chœur.
L'orchestre.

Comme dans les pièces précédentes, il s'agit ici d'étrangers: le père, la mère et les enfants, qui ont été obligés de quitter leur village parce qu'ils sont poursuivis par une sorcière. L'homme expose sa situation à un musicien, qui ne manque pas de lui assurer qu'aucun sorcier n'existe dans l'endroit où ils se trouvent.

Le père rassuré témoigne sa satisfaction en chantant et en dansant, tandis que la femme et les enfants s'installent. Aussitôt après la sorcière paraît.

C'est une vieille femme au visage couleur de cendre, dont le corps contrefait exhibe une bosse monumentale sur l'estomac et une autre non moins grosse au milieu du dos. Son aspect monstrueux est encore accusé par deux oreilles immenses, qui s'élèvent de chaque côté de sa tête, et sont constituées par deux grands éventails en sparterie. Elle s'avance d'un pas saccadé en s'appuyant sur un long bâton, et son arrivée cause dans l'auditoire une profonde sensation. Elle chante, et le chœur répète après elle:

Klebi mǝyǝ be teme, be ko Farimani de subaa ye.-Les gens de l'Ouest passent, tous disent que Farimani est une sorcière.

mɔyɔ

Koro na mǝyǝ be teme, be ko Farimani de subaa ye.-Les gens de l'Est passent, tous disent que Farimani est une sorcière.

Farimani de subaa ye.-Farimani est une sorcière.

An naa koro be doni do.-Vous allez bientôt tout savoir.

La famille des réfugiés manifeste une grande terreur. Les enfants se sauvent et la sorcière les poursuit sur la place. Après bien des péripéties elle réussit à toucher successivement chacun des acteurs avec son bâton. La personne ainsi atteinte tombe aussitôt inanimée; la sorcière s'en approche, se courbe, pose sa bouche sur le corps inerte, qui est réputé mangé par elle.

VI. Voleurs d'ignames

Personnages: Le cultivateur.

Les enfants du cultivateur.
Le voleur intelligent.

Le voleur imbécile.
L'orchestre.

Le chœur.

Le cultivateur entre en scène précédé de ses enfants, il est irrité parce que chaque nuit des voleurs emportent ses ignames. Un musicien lui conseille de placer dans son champ un dieu protecteur qui arrêtera les malfaiteurs. Le cultivateur y consent, fait le nécessaire et se retire avec ses enfants.

C'est maintenant la nuit. Deux voleurs arrivent, marchant avec précaution, attentifs de l'œil et de l'oreille; chacun d'eux porte sous le bras un petit tambour suspendu au cou par une ficelle. Parvenus au milieu de la place ils dansent en chantant:

Ku dienine kaa di mɔyɔ be ntigi ntã.-L'igname grillée est excellente, c'est un bien sans propriétaire.

Motif aussitôt repris par le chœur. En même temps ils frappent en cadence sur leurs tambours. Mais tandis que l'un tape doucement, l'autre bat la peau de son instrument avec violence, si bien que le premier l'engage à faire moins de bruit, de crainte d'éveiller le maître du champ. Le second obéit pour un instant, mais recommence bientôt, et ce jeu de scène permet de découvrir les caractères respectifs des deux acteurs, l'intelligent et l'idiot.

Les voici qui fouillent la terre, dégagent les ignames et les mettent en tas pour les emporter. Le premier travaille avec précaution et témoigne sa joie en chantant en sourdine tandis qu'il touche à peine son tambour:

Ku dienine kaa di mɔyɔ bɛ ntigi ntã.—L'igname grillée est excellente, c'est un bien sans propriétaire.

L'autre, au contraire, hurle à tue-tête et frappe son instrument à tour de bras chaque fois qu'il découvre un gros tubercule. Enfin les charges sont prêtes, mais celle de l'idiot est tellement lourde qu'il ne peut la porter, il vacille sous le poids et finalement vient heurter le dieu protecteur, qui l'immobilise et l'empêche de bouger.1 En voyant cela, son complice s'enfuit. Il est grand temps, car le cultivateur, attiré par le vacarme, accourt avec ses enfants et découvre l'idiot. Celui-ci proteste et l'insulte: il est un homme connu du village voisin, parti dans la brousse pour ramasser deux ou trois ignames sauvages, et voici qu'on a lancé contre lui des sortilèges qui l'empêchent de se mouvoir, tout son corps est endolori! Le propriétaire ne se laisse pas prendre à ses protestations, il le délivre et l'emmène en le rossant.

VII. Les Voleurs de Poisson

Personnages: Premier pêcheur.

Deuxième pêcheur.

Premier voleur.

Deuxième voleur.
L'orchestre.

Le chœur.

Deux pêcheurs viennent placer des filets et des nasses dans un cours d'eau qui est supposé traverser la place. Ils se plaignent que leur poisson soit enlevé chaque nuit par des voleurs et se retirent.

A peine sont-ils partis que deux voleurs s'avancent vers les filets sans se voir; ils se heurtent dans l'obscurité et manifestent aussitôt une grande frayeur, car chacun d'eux se croit en présence du pêcheur qu'il est venu voler. Finalement, ils s'enfuient dans des directions différentes, après un jeu de scène assez prolongé.

Les pêcheurs rentrent en scène et remarquant que, de nouveau, on

1 Dans cette pièce, comme dans la suivante, il s'agit non seulement d'un dieu protecteur destiné à écarter les voleurs et à punir ceux-ci, mais encore de pratiques magiques, celle du nœud, de la cheville ou du clou par exemple, ayant pour effet d'immobiliser le malfaiteur jusqu'à ce qu'il soit délivré comme il convient. En scène on ne donne naturellement aucune information sur les procédés employés et qui sont bien connus de l'assistance.

a touché à leurs engins, se décident à placer un dieu protecteur auprès de ceux-ci.

Les voleurs reviennent, se cognent encore dans la nuit, mais cette fois ne peuvent plus se séparer, car une puissance surnaturelle les lie. Les pêcheurs ne tardent pas à reparaître et la pièce se termine comme précédemment par des horions.

L'INTRIGUE, LES CARACTÈRES, LES ACTEURS

Les exemples qui viennent d'être cités montrent assez que le titre donné par les indigènes à ces manifestations théâtrales ne leur convient pas absolument, étant trop restreint. En effet, il ne s'agit pas ici d'une simple 'moquerie des choses de l'association du mariage', mais d'une satire qui glane ses observations dans le vaste champ de la vie. Les auteurs anonymes de ces pièces en sont aussi les acteurs, ils font œuvre de psychologues, et savent porter avec art à la scène les ridicules de leurs concitoyens.

Tous les types qui défilent sur le fere ont été vus dans le village, ils sont en général simples et saisis sur le vif, aussi point n'est besoin d'une intrigue compliquée pour les mettre en valeur. Les plus fréquents sont ceux des époux qui cherchent à se tromper, mais il en est d'autres non moins appréciés du public qui les reconnaît, les nomme et s'en amuse; ce sont: le lépreux, l'aveugle, le boiteux, le voleur, le poltron, le vantard, le sorcier.

La femme inspire en général peu d'estime au Soudanais, qui la tient pour bavarde, capricieuse, et incapable de discrétion. Les contes recueillis par Bérenger-Féraud, Monteil, de Zeltner, Frobenius, et surtout par Équilbecq, affirment cette opinion que l'on retrouve exprimée au théâtre. D'autre part, le Mandingue a peu d'illusions sur la vertu des épouses, les incidents journaliers le renseignent en effet, bon gré mal gré, sur les infortunes des voisins et les siennes propres, il ne s'en offense pas, trouvant sans doute la jalousie quelque peu ridicule, et toujours vaine, puisque les précautions inspirées par elle ne peuvent empêcher l'inévitable. Mari trompé, il corrige le complice et garde sa femme. Quiconque a vécu dans un village africain ou assisté aux audiences des tribunaux indigènes sait combien sont fréquentes ces querelles conjugales dont le motif

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