صور الصفحة
PDF
النشر الإلكتروني

n'est jamais dissimulé. Elles égaient les assistants, prompts à se réunir pour écouter et juger, il est donc naturel qu'on les porte à la scène.

En dehors du mari, de la femme et de son amant, on voit apparaître assez souvent le lépreux. La religion aussi bien que le folk-lore local font une large place à la lèpre, maladie envoyée par les dieux pour punir ceux qui les ont offensés. Cette affection, malheureusement encore fréquente dans l'Ouest-Africain, n'inspire ni dégoût, ni pitié. Touché par le mal divin, celui qui en est atteint jouit d'une considération particulière qui apparaît dans de nombreux contes, où le héros emprunte l'aspect d'un lépreux pour tromper quelqu'un et triompher dans ses entreprises.

Mais l'homme privé de ses doigts et de ses orteils par cette terrible maladie est impotent et maladroit, on ne le plaint pas, au contraire, le public prend un plaisir que nous jugeons coupable à railler sa démarche incertaine et ses gestes incomplets, il est devenu un type ridicule que l'on aime à caricaturer. Pour la même raison l'aveugle et le boiteux lui font pendant sur la scène soudanaise.

Le théâtre, s'inspirant des observations faites dans l'existence journalière, réserve naturellement un rôle important au voleur, dont les menus larcins aux champs et dans les maisons indignent le village et valent à l'auteur des corrections retentissantes. Le caractère du vantard et celui du poltron exposés dans des contes très nombreux servent aussi à bâtir des intrigues pour la scène.

En dehors des personnages ordinaires le théâtre soudanais présente volontiers le sorcier, être mystérieux, esprit du mal, terreur de tout indigène et qui est réputé dévorer la force vitale des personnes. Beaucoup de gens sont sorciers ou suba1 sans le savoir, d'autres jouissent de la faculté de s'excorporer pour assister à des réunions nocturnes durant lesquelles des victimes humaines sont mangées au cours de lugubres festins. Il est curieux de constater comment les Mandingues représentent ces suba au théâtre. C'est le plus souvent sous l'aspect d'une vieille femme difforme et infirme, possédant quelque attribut extraordinaire et effrayant, par exemple d'énormes oreilles en forme d'éventail. On voit confirmées à la scène les données des contes au

1 Ce terme vient de su (lancer) et baya (contracté en ba dans le dialecte bamana), qui est un suffixe d'agent; il peut se traduire par le lanceur' (de sorts).

sujet de la manducation supposée de certains organes humains par le sorcier, qui, devant le public, pose sa bouche sur le foie de la victime qu'il vient d'abattre, et dont il détruit ainsi la force vitale.

Dans son intéressant ouvrage Équilbecq' remarque l'omission de certains thèmes par la littérature indigène, dans laquelle on ne découvre pas, selon lui, d'histoires de brigands ni de ces récits cauchemardants dont le Räuberbräutigam de Grimm est un type achevé et qu'on retrouve aussi dans les Mille et une Nuits (Ali Baba et les 40 voleurs).

Un peu plus loin le même auteur assure qu'il n'a pas rencontré non plus dans les contes de l'Ouest-Africain les paysans naïfs jusqu'à la stupidité si fréquente dans les Märchen allemands.

Il est certain que, malgré l'information abondante dont jouissait Équilbecq, beaucoup de thèmes lui ont échappé, celui du brigand est du nombre. Il existe non seulement dans les contes, mais au théâtre, comme le montre la pièce que nous avons résumée. Quant au naïf stupide, il est le héros de maints récits et de comédies nombreuses semblables à celle des voleurs d'ignames.

Si simple que soit l'intrigue, si dépourvu de détours que s'affirme le caractère, le spectateur est toujours frappé de l'art avec lequel les acteurs présentent leurs personnages. La troupe est formée d'hommes du village, qui assument à la fois les rôles masculins et féminins, tous jouent avec un naturel et un talent véritable dénotant un grand esprit d'observation et d'adaptation. Voyez paraître sur la scène Fatimata, coquette et légère, roulant les hanches sous son pagne rayé, elle est attirée d'une façon burlesque, mais tous ses gestes sont exacts, comme son intonation et sa diction au cours du dialogue. Regardez Niellé, surprise par le chasseur malheureux; elle s'avance avec un calme plein de mépris pour celui qui l'interroge, elle refusera de répondre, ou bien exprimera son dédain par monosyllabes, jusqu'au moment où, éclatant en reproches véhéments, elle tournera son époux en ridicule. Toutes ces nuances sont précises et vraies; ce n'est pas l'acteur qui parle, c'est une femme quelconque du village dont l'assistance enthousiasmée murmure le nom.

I

1 Équilbecq: Essai sur la littérature merveilleuse des noirs, suivi de contes indigènes de l'Ouest-Africain français. Paris, 1913, i, p. 91.

Les rôles d'hommes ne sont pas tenus avec moins de maîtrise, et s'il faut déplorer parfois en eux un burlesque trop poussé et trop réaliste dans certaines attitudes on doit reconnaître en général que les caractères sont rendus avec une surprenante exactitude. Le noir possède à n'en pas douter un sens inné du comique qui l'aide puissamment dans ses créations. D'autre part, n'incarnant, à de rares exceptions près, que des types observés dans son propre milieu, il n'a aucun effort spécial à réaliser pour représenter d'autres personnages que les cultivateurs, les artisans et les marchands qu'il fréquente d'ordinaire, il évite ainsi un sérieux écueil, et, demeurant dans son élément, se révèle un maître à la scène parce qu'il y garde les gestes, les attitudes et le langage de l'existence habituelle.

Nous avons appelé tantôt pièces satiriques et tantôt comédies les représentations qui font l'objet de cet exposé, et dont le classement est malaisé, car elles comportent une intrigue dialoguée, des chants et des danses. A n'y point regarder de trop près, on pourrait soutenir qu'il s'agit ici d'opérette ou d'opéra bouffe, mais en examinant avec quelque attention l'ordonnance et l'aspect des œuvres en question on ne peut manquer de trouver qu'elles se rapprochent par plus d'un côté de la comédie grecque. Certes on ne retrouve pas ici les discussions politiques, les attaques contre le parti de la guerre, contre les juges, contre les utopies sociales, formant le fond des onze pièces d'Aristophane qui nous sont parvenues, mais on peut les comparer, toute proportion gardée, à la comédie nouvelle des Athéniens avec ses dialogues satiriques mêlée de chœurs lyriques. Au Soudan comme dans le Péloponèse, le chœur, auquel il faut joindre l'orchestre, ne joue aucun rôle dans l'action; composé de personnages d'humble condition, il représente le peuple, l'assemblée des villageois, il témoigne d'une malice alerte et moqueuse en accueillant et conseillant les acteurs.

L'ORIGINE DU THÉÂTRE SOUDANAIS

Il n'existe, à notre connaissance, aucune tradition permettant de déterminer l'origine du théâtre soudanais. Les vieillards interrogés à ce sujet ont tous déclaré ne rien savoir.

Nous avons dit que les pièces, dont quelques-unes ont été rapide

ment analysées dans cette étude, se jouent exclusivement dans certains villages bamana et malinké des cercles de Bamako et de Bougouni. A la réflexion il apparaît comme probable qu'elles ont commencé à être représentées chez les Malinké: l'étude linguistique de certains termes traditionnels semble le démontrer.

On sait en effet que la langue que nous appelons 'Mandingue' se subdivise en trois catégories de dialectes: les dialectes malinké, les dialectes bamana ou bambara, et les dialectes dioula, présentant entre eux des divergences parfois assez accentuées. Or une des caractéristiques qui distinguent le plus nettement les dialectes malinké des autres dialectes mandingues est la transformation de la vibrante dentale r des seconds en tou d dans les premiers. C'est ainsi que la célèbre région aurifère connue depuis des siècles se nomme Bure en bamana et Bute en malinké, et que l'on a dans ces deux idiomes bara (B) et bata (M): récipient; bere (B) et bete (M): bâton; koro (B) et koto (M): ancien, près, au pied de; Nere (B) et Nete (M): arbre Parkia biglobosa. On notera d'après ces exemples qu'en pays bamana le titre des pièces en question devrait être suivant la règle susindiquée: kore koma nyaga, il affecte au contraire partout la forme malinké: kote koma nyaga.

Dans un village habité par des Bamana purs, il est malaisé de saisir au cours de la représentation les expressions empruntées au dialecte voisin, pourtant on peut les remarquer dans certaines phrases traditionnelles. Ainsi dans le prologue on entend: Yakau kaa yele n'ma au lieu de yakau kana yele n'ma; la contraction kaa pour kana est symptomatique.

De même, lorsque dans le prologue l'acteur appelle ses camarades, il crie: Sama nyoyolu de! au lieu de Sama dolu de: Envoyez les autres. Or le mot nyoyro qui signifie: le pareil, l'équivalent, s'emploie surtout pronominalement en bamana, par exemple dans les locutions comme: u ke fla kaa nyoyo buugo: ces deux hommes se sont réciproquement battus; il ne se met guère au pluriel qu'en malinké, jouant alors le rôle d'un de nos pronoms indéfinis et remplaçant do, qui signifie en bamana: l'un; ou bien: l'autre.

Enfin une série de plaisanteries d'origine sans doute très ancienne se débite lorsque paraît en scène le poltron vantard; on relève parmi elles le terme: ntanso nyineni, désignant en malinké seulement une

espèce de natte utilisée tantôt pour obturer les portes et tantôt pour se coucher.

Sans doute une notation sténographique du dialogue révélerait d'autres exemples. Ceux qui viennent d'être cités sont trop peu nombreux pour être décisifs, mais ils engagent nettement à chercher vers le sud l'origine du théâtre mandingue.

LES AUTRES MANIFESTATIONS THÉÂTRALES DE L'OUEST-AFRICAIN Ainsi qu'on l'a vu, les représentations du Soudan français offrent donc un caractère très particulier et très personnel qui les différencie des manifestations de même ordre, sinon de même genre, déjà décrites dans l'Ouest-Africain. Les observations qui ont été faites jusqu'à présent sur ce sujet portent à notre connaissance sur des exhibitions de marionnettes.

Certaines, probablement importées de l'Afrique du Nord par les caravanes, n'ont lieu qu'à l'occasion des fêtes musulmanes. En octobre 1878 l'explorateur P. Soleillet assista à une de ces représentations chez les Somono du Niger aux environs de Ségou, il résume ainsi ce qu'il vit:

'Vers trois heures trois quarts de l'après-midi, je passe devant le village bambara de Mognogo, coquettement situé sur la rive droite, au milieu de beaux arbres, et je m'y arrête. Pourquoi? Je vous le donne en mille! vous ne devineriez jamais.... Pour voir Guignol! Une tente carrée en étoffe rayée blanc et bleu est installée sur une pirogue à deux pagayeurs; une tête d'autruche emmanchée d'un long cou s'avance sur le devant; elle se dresse, s'allonge, s'abaisse, se raccourcit, tourne à droite, tourne à gauche d'un air d'attente curieuse et inquiète; puis deux marionnettes surgissent du milieu de la tente, l'une vêtue de rouge, l'autre de bleu, et elles se livrent à des pantomimes grotesques. Des tam-tam placés sur une seconde pirogue accompagnent le spectacle d'une musique assourdissante. Ce jeu se nomme chez les Bambaras konnou-donkili; il est inconnu des autres noirs.'1

Konnou-donkili, c'est-à-dire: le chant de l'oiseau, à cause de la tête d'autruche que l'on fait évoluer. La scène observée par P. Soleillet est décrite avec exactitude, c'est un divertissement fréquent chez les

1

P. Soleillet: Voyages et découvertes dans le Sahara et dans le Soudan. Paris, 1881, P. 170.

« السابقةمتابعة »