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pays tuteur avait une trop haute idée de sa culture et de ses mérites pour ne pas se croire obligé de les transmettre le plus largement possible à ses pupilles. C'était d'ailleurs faire coup double, puisque par une unique opération on favorisait à la fois l'humanité et la patrie. Ainsi les principes de civilisation tendirent-ils à s'identifier avec les principes de colonisation. Il sembla tout naturel de couler directement l'indigène dans le moule étranger: plus le moule serait exact, plus la reproduction serait parfaite, plus le travail serait réussi.

Logiquement, on en déduisait la formation, sinon des générations déjà adultes trop réfractaires, du moins des générations naissantes, par les méthodes, les connaissances, la mentalité, les goûts, et spécialement par la langue de la métropole. Plus tôt et plus complètement on soustrairait l'enfant aux anciennes routines, plus l'éducation nouvelle serait facile et profonde, plus la transformation de la race serait rapide et définitive. Ce fut, en conséquence, la suppression des petites classes purement indigènes, et d'aucuns allèrent jusqu'à rêver d'une substitution universelle de la nouvelle langue à l'idiome maternel en trois ou quatre générations.

Les arguments en faveur de cette assimilation linguistique ne manquaient pas: Par la nouvelle langue s'établit plus directement le contact de l'apprenti-civilisé avec la civilisation. La nouvelle langue devient même le meilleur auxiliaire d'une formation tout de suite supérieure par sa richesse, par sa littérature, par sa discipline, par sa structure, par sa diffusion. Au point de vue moral et religieux elle est le meilleur moyen de couper court à une foule de croyances ridicules et par suite à des pratiques désastreuses. Aussi bien, dans l'impossibilité de rendre en idiome indigène les nouvelles notions abstraites ou scientifiques, si l'on se contentait d'introduire pour elles des termes étrangers, on ne tarderait pas à faire de l'ancienne langue un charabia invraisemblable. (On en a des exemples.)

Ajoutez les facilités que l'Administration coloniale trouve dans l'emploi de sa langue, et celles que les indigènes y gagnent pour leurs relations avec la mère-patrie; sans parler de l'inévitable nécessité de sacrifier une foule de dialectes impossibles à maintenir: sacrifier pour sacrifier, ne vaut-il pas mieux adopter une langue bien constituée que de tout gâter par le métissage d'une lingua franca obligatoire?

D'ailleurs, l'Amérique latine est bien arrivée à parler portugais et espagnol. Les Hindous ne sont-ils pas les premiers à reconnaître ce qu'ils doivent, même au point de vue rénovation hindoue, aux écoles anglaises? En remontant plus haut, la langue de Rome n'a-t-elle pas été, avec le christianisme, l'un des facteurs les plus actifs de bon nombre de nos civilisations modernes?

Si nous l'appliquons à l'Afrique, cette théorie de l'assimilation ne s'impose-t-elle pas encore davantage? Quand une construction se réduit à quelques blocs grossiers de terre pétrie, songera-t-on à utiliser ces misérables restes dans la réalisation d'un monument nouveau? On rase tout et on rebâtit.

Enfin, osera-t-on soutenir que ce procédé de civilisation, appliqué depuis quelque vingt ou trente ans, ait fait tellement faillite? Ne lui devons-nous pas les prodigieuses métamorphoses de tout un continent naguère encore encombré de sauvagerie, voire même de cannibalisme?

On le voit, la thèse de l'assimilation n'est pas dépourvue d'arguments de valeur, et c'est simplifier un peu trop la discussion que de définir les deux écoles opposées par ces simples mots: méthode destructive pour la méthode d'assimilation, méthode constructive pour la méthode d'adaptation.

Néanmoins la thèse de l'assimilation pèche par la base; elle repose sur des présupposés dangereux et de graves méconnaissances: présupposés, en faveur des nations colonisatrices, de droits absolus d'occupation et d'exploitation, méconnaissance des traditions, des coutumes et des mentalités indigènes, comme si les races de l'Afrique devaient bénévolement se dépouiller de ces caractères particuliers qui font la variété de notre humanité. Non, la 'table rase' ne fut jamais un système initial d'éducation. C'est une maladresse et une injustice contre lesquelles réagissent tôt ou tard les énergies propres des races. Aussi par sentiment d'équité, comme par prévision inquiète d'un avenir déjà menaçant, se manifeste-t-il dans tout notre monde colonial un retour vers la seconde thèse de l'adaptation: 'Respectons tout ce que nous pouvons respecter de l'indigénisme: développons les races dans leur sens propre: aidons-les sans les contraindre; qu'elles aient leur langue, leur littérature, leur art, leur mentalité.' Plusieurs vont si loin dans ce

nouvel esprit que tout leur devient intangible de ce qui peut se présenter comme coutume des ancêtres, même les plus authentiques horreurs.

Quoi qu'il en soit de ces exagérations, il semble bien que la nouvelle école rallie la majorité des suffrages et que nous entrions dans une période d'adaptation.

LE PROBLÈME DE L'ADAPTATION. SON INVRAISEMBLABLE COMPLEXITÉ. COMMENT EN SORTIR?

A entendre résonner partout le mot d'adaptation, on pourrait croire à l'écho de quelque découverte retentissante. Au fond l'adaptation est vieille comme le monde, universelle comme les perpétuelles rencontres des hommes et des choses. Nous trouverions des leçons d'adaptation partout.

Il est cependant un exemple classique entre tous: celui de l'adaptation pédagogique du maître à ses élèves. Et puisque, en matière de civilisation, comme en matière d'enseignement, il s'agit de former des hommes, rien ne peut mieux éclairer notre sujet que les lumières d'une saine, vraie et universelle pédagogie. Sera civilisateur de nos races africaines qui saura se montrer pour elles maître et éducateur.

Or trois mots résument toute la pédagogie: ajustement, optimisme, autorité.

PREMIER PRINCIPE D'AJUSTEMENT

Un éducateur agit sur les facultés de son disciple dans la mesure où il sait leur emboîter ses propres facultés; car le vrai professeur c'est un homme tout entier formant un autre homme tout entier. Vérité pédagogique si essentielle et si élémentaire qu'elle peut paraître une banalité. Mais pourtant, combien oubliée! combien pleine de conséquences!

Une conséquence générale d'abord, c'est que l'adaptation civilisatrice, comme l'adaptation pédagogique ne peut se montrer la même partout. Si l'enseignement ne revêt pas les mêmes modes avec de petits écoliers ou de grands jeunes gens, le travail civilisateur devra aussi tenir compte et du degré relatif déjà atteint par chaque peuple et de sa réceptivité éducative.

Comment peut-on l'oublier? Il serait pourtant ridicule d'y insister. Voici d'autres déductions plus particulières et encore plus facilement méconnues.

La première, c'est la nécessité pour le formateur, professeur éducateur ou nation civilisatrice, de s'appliquer à acquérir une connaissance approfondie de ses disciples, enfants ou peuples, de leur caractère, de leurs antécédents, de leurs habitudes, de leurs préjugés, de leurs qualités et de leurs défauts. Les âmes humaines ressemblent toutes à ces serrures de sûreté dont le pène ne se déclanche que si la clef introduite s'adapte aux plus petits détails des gorges qui commandent le mouvement. Du côté de l'étude des peuples à civiliser, on n'ira jamais trop loin et n'est-ce pas dans l'oubli de cette loi pédagogique qu'il faut chercher la raison de tant de regrettables incompréhensions?

Dans une conférence donnée à la Semaine Missiologique de Louvain en 1926, le R.P. Dufonteny, C.SS.R., relevait impitoyablement les malentendus entre Noirs et missionnaires, la plupart venant, chez ces derniers, de l'ignorance de la véritable mentalité indigène. 'Même avec le missionnaire qui a sa confiance, le Noir emploie des expressions qui indiquent sa peur de n'être pas compris. Nous Noirs, nous avons coutume de dire ceci... ou d'arranger les choses de telle manière... Vous Blancs, vous avez vos usages et d'après ces usages vous jugeriez autrement... Mais ce n'est pas ainsi chez nous.'

Cette connaissance de l'indigène ne s'acquiert pas si facilement! Pour la conquérir, il faut surprendre le noir dans sa vie intime. 'En face, le Noir se tait et son silence nous paraît trop facilement une absence de réflexion. Pourquoi se tait-il? parce qu'il ne nous croit pas capables de le comprendre!'

D'autres familiers de la brousse ne parlent pas autrement. Pour eux aussi, les bons renseignements sont ceux obtenus par surprise. Défions-nous des questions posées et des interprètes. Interrogé, le Noir cherche dans sa réponse surtout à nous faire plaisir: quant au traduttore, traditore dit le dicton.

A ceci ajoutons quelques remarques du R.P. Aupiais (missionnaire africain de Lyon) qui sont d'un observateur particulièrement pénétrant: 'Nous jugeons nos Noirs d'après leurs manières avec nous. Or avec nous ils ne sont plus eux-mêmes: nous les intimidons par notre

supériorité, nous les déroutons par nos procédés tout différents. Ils deviennent gauches, forcés, maladroits et par conséquent faussés. C'est au naturel, chez eux, qu'il faut les surprendre, dans la dignité de leurs assemblées, dans la politesse parfois raffinée de leurs relations, dans la gravité de leurs discours, dans la vivacité de leurs conversations intimes. Le plus souvent le Noir ne nous apparaît ridicule que parce qu'il n'est plus lui.'

La pédagogie aurait pu nous en avertir. Qui a eu quelque peu charge d'élèves sait combien il est difficile de les bien connaître, combien il est aisé, en particulier, de se tromper sur les timides; comment, en tout cas, il faut s'ingénier pour surprendre l'écolier au naturel, dans ses jeux ordinairement, parce que là, emporté par son ardeur, il oublie qu'on le regarde et redevient lui.

Etude poursuivie dans les contacts d'une vie aussi intime que possible et facilitée par une confiance réciproque, voilà le grand moyen de connaître l'indigène. Il y faudra du temps et tous les anciens ne manquent pas de répéter au nouveau-débarqué cette parole si sage: 'Ne jugez pas et surtout ne condamnez rien avant dix ans.'

Deuxième conséquence du principe d'ajustement: De la parfaite connaissance de l'élève découle dans l'enseignement le choix des instruments et des méthodes de formation. On cherche à comprendre l'enfant, mais c'est pour s'en faire comprendre, pour se mettre à sa portée. De là l'infinie variété des procédés, aussi nuancés que la nature et la vie, mis en jeu par un bon maître. Or de tous ces procédés il en est un primordial: le professeur doit parler un langage compris de ses élèves,

N'aurions-nous pas, dans ce simple rappel pédagogique, une indication précieuse pour la solution de ce problème des langues maternelle ou étrangère posé plus haut? Admettons que pour les indigènes l'étude d'une langue comme le français ou l'anglais peut être un instrument actif de civilisation; qu'elle puisse remplir même de quelque façon auprès d'eux le rôle que nous donnons au latin et au grec dans notre formation secondaire; que les dialectes africains sont incapables de porter les abstractions de nos philosophies ou les nouveautés de nos sciences: constatons la nécessité de réduire le nombre exagéré des idiomes. Mais, tout d'abord, cette simplification des dialectes ne peut

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